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Le blog qui doute !
31 mai 2009

Des lecteurs ! ô surprise !

Eh bien, je ne m'attendais pas à avoir des lecteurs si rapidement ! Pour une bonne surprise... :) Aujourd'hui, j'aimerais bien raconter un cas un peu plus tragique que le précédent, que j'ai rencontré lors d'un remplacement il y a quelques temps... Le cas d'Ugo, le pointer maigrichon. ------------------------- Donc, ce beau dimanche matin, je suis à la clinique en train de faire les soins aux animaux hospitalisés, lorsqu'un monsieur m'appelle pour me signaler que son animal souffre de ce qu'il pense être une piroplasmose. Il me décrit que l'animal est prostré, il ne sait pas depuis quand cela dure : je lui recommande d'amener son animal immédiatement. Lorsqu'il arrive, accompagnée de sa voisine qui se trouve être la femme du propriétaire de l'animal, il tient dans ses bras un pointer cachectique, complètement prostré. C'est un chien de chenil, la femme ne l'avait pas vu depuis la fin de la saison de la chasse, où il s'était fait taper par un sanglier, mais avait été soigné. D'habitude, c'est son mari qui s'en occupe et va le nourrir. Etant absent ce jour, la dame était allée au chenil, et avait retrouvé l'animal dans cet état, ce qui l'avait beaucoup choquée. L'examen clinique à l'admission révèle des muqueuses blanches, une fréquence cardiaque à 50 battements par minutes, une absence de pouls fémoral, une jugulaire plate, des convulsions partielles, une température rectale à 33°C. Il pèse 18kg alors que son poids d'entretien normal est de 26kg, et qu'il n'a jamais été gras. La dame, inconsolable, exige de savoir dans l'instant ce qui arrive à son animal. Alors, là, déjà... ce serait tellement chouette si les clients comprenaient qu'on n'est pas devins et qu'on a besoin de temps et de réflexion pour arriver à un diagnostic, sur un animal en si mauvais état en particulier. Là, ma priorité n'était bien entendu pas le diagnostic : Ugo était en train de mourir. Je tente de le lui expliquer, je réalise un devis rapide pour la réanimation, et je commence, avec son accord, les premiers soins. Je lance un bilan sanguin : le glucose est dans les chaussettes (0,08g/L, mon record personnel à ce jour), mais le reste ne va pas si mal, contrairement à ce que j'attendais. Par contre, l'hématocrite est à 19%, et pas moyen de réaliser un bilan ionique... pas le matériel. Dommage, j'aurais bien aimé savoir où on en était de ce côté-là (Na+, K+ notamment). Un autre truc marrant : je fais un frottis sanguin, et là surprise ! des bactéries (surtout bacilles) partout ! Dans les hématies, hors des hématies ! Une coloration faite uniquement sur lame propre a en fait permis de conclure que les bacs de coloration étaient pourris, et contenaient une population bactérienne monstrueuse qui contaminait tout. Donc, impossible de conclure. Je mets Ugo dans une cage bien isolée, à l'abri des courants d'air, et avec une bonne couverture en laine par-dessous et une couverture de survie par-dessus. Je le mets sous perfusion, et là, nouveau drame. J'aurais bien aimé le remplir vite, et le remplir de sucre par la même occasion. Mais dans cette clinique, il n'y a ni colloïdes, ni glucose... Seulement du G5 et du NaCl. Pratique ! Je fais donc une savante association NaCl/G5 par voie IV et sucre-de-la-cafetière-par-voie-orale, et je tente de brancher l'ECG, dans l'optique de faire de la dobutamine par la suite, pour relancer un peu ce coeur tout mou. Sauf que dans le coffret de l'ECG, il manque la moitié des câbles. Ne pas s'énerver... Tant pis pour l'ECG. Je retourne voir mon toutou, il s'est couché en rond dans sa cage sous ses couvertures, et il a arrêté de spasmer. Bieeen. Un nouvel appel téléphonique pour une nouvelle urgence qui fera l'objet, sans doute, d'un prochain message, me garde loin de mon petit Ugo pendant 20 min. A mon retour, il se lève (difficilement, mais quand même) en m'apercevant, bien content de me voir. Surprise ! Un nouvel examen clinique m'apprendra qu'il va bien, le compère Ugo. Il a retrouvé une fréquence cardiaque normale (comme quoi, penser à la dobutamine simplement, sans l'injecter, ça peut suffire :D), il est sorti de sa prostration, ses muqueuses sont un peu plus roses, et il a ... FAIM. Un peu étonnée, je lui propose une petite quantité d'A/D, qu'il mange sans retenue. La fin de cette histoire, c'est que Ugo n'a pas arrêté d'aller mieux au cours de cette journée. Il a fait quelques petits repas (heureusement que la lipidose hépatique ne touche pas trop les chiens, et que le A/D est bien pensé en termes de potassium), et a retrouvé des forces à une vitesse prodigieuse. Sa propriétaire, que j'ai revue en fin d'après-midi, cherchait néanmoins à me faire dire que son chien était atteint d'une maladie foudroyante, qui l'aurait attaqué subitement par derrière. Mon sentiment profond, néanmoins, c'est que ce chien était juste totalement dénutri, et 1h ou 2h plus tard, il serait mort de faim. Et donc, que le responsable n'était autre que son mari... par négligence au moins, malveillance au pire. Rassurée sur l'état de l'animal, elle me prévint que son mari allait m'appeler à son retour, pour avoir des renseignements. Effectivement à 21h, mon téléphone retentit, et c'est cette fois le propriétaire que j'ai en ligne directe. J'avoue que mon "bonsoir" a été un peu froid, et lui s'en est d'ailleurs complètement dispensé. - "Alors, il va comment le chien ? - Eh bien, je dirais que pour ce soir, ses jours ne sont pas en danger, mais remonter la pente va demander du temps c'est sûr. - Ah. Donc il va pas mourir, là ? - Pas pour l'instant non, je ne pense pas. - Ah. (déception perceptible) Mais je sais pas si je veux le garder, s'il est malade... - Vous savez Monsieur, la facture de la réanimation a déjà été réglée par votre femme, et rien de ce que je pourrais faire ce soir ne permettra de baisser la note. Je n'ai pas dépassé du devis convenu avec votre femme, donc je suggère que vous décidiez de la suite avec mes collègues demain. - Très bien, je rappellerai demain." * biiiiiiiiiip * Non mais... il croyait vraiment que j'allais euthanasier son chien là... non mais je vous jure. Au final, c'est bien ce qu'il a décidé de faire, en accord avec les vétos de la clinique, le lendemain. Et elles n'ont même pas eu la correction de me le dire. ----------------------------------------------------------------------- Ce cas était un peu déprimant, mais c'est bien pour ça que j'avais besoin d'en parler ! Heureusement, pendant la même garde, j'ai eu pleins de jolis cas sympathiques et qui vivront heureux pour toujours. Ce que j'ai retiré de ce cas : - La (énième) confirmation que la plus grande difficulté des remplas, c'est de ne pas pouvoir faire ce qu'on l'on voudrait, faute de matériel. En même temps, ça apprend à être adaptable, et dans ce cas, ça a bien marché ! - Un petit retour, à froid, sur ma loi de Poiseuille préférée (avec l'aide de Patrick) : Pression artérielle = Débit cardiaque x Résistance Artérielle Périphérique Mon petit Ugo, avec son pouls fémoral absent, ses muqueuses blanches et sa bradycardie, était plutôt en logique de vasoconstriction (Résistance Artérielle Périphérique normale, Débit Cardiaque altéré). Or le débit cardiaque dépend de la fréquence cardiaque et du volume d'éjection systolique, qui lui même dépend de la précharge et de l'inotropie. Donc l'urgent était d'agir sur son débit cardiaque : remplissage pour augmenter la précharge, et administration d'un inotrope positif (éventuellement d'un chronotrope positif, mais Starling n'aurait pas été content parce que ça aurait raccourci ma diastole). Par ailleurs, il était sans doute en logique de désensibilisation de ses récepteurs béta, parce qu'il devait cracher des cathécholamines depuis un bon bout de temps avant d'être retrouvé, en cherchant à lutter pour trouver ses dernières réserves. Du coup, si j'avais dû faire la dobutamine, il était à prévoir que je doive utiliser des doses importantes. - Je suis toujours aussi incapable d'euthanasier un chien dans lequel je me suis investie émotionnellement. C'est pas bien. Ou est-ce bien ? J'en sais rien en fait. En tous cas, pour moi, le fait qu'Ugo était en vie le matin à 8h quand je suis partie, est une victoire. Après, je ne peux pas être responsable des décisions des autres, n'est-ce pas ?
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